L’abbaye d’Almenèches, transférée à Argentan au XVIIIe siècle, est l’une des plus anciennes abbayes de femmes en France, avec Poitiers et Jouarre. Ses origines sont assez obscures, les plus anciennes archives datant du XIIe siècle. Restée toujours modeste, l’abbaye a traversé les siècles et bien des vicissitudes, avec cependant deux interruptions : pendant un siècle et demi, après les invasions Vikings au IXe siècle, et pendant 30 ans après la Révolution.
Charte d’une abbesse
VI Ie siècle : des origines obscures
Selon la tradition, à la fin du VIIe siècle, le moine saint Evroul (+707) fonde 15 monastères dans la région, dont celui d’Almenèches, à 10 kms au sud-est d’Argentan, gouverné par sainte Lanthilde au VIIIe siècle, et un autre, le Monasteriolum, dont on ne peut dire s’il est situé également à Almenèches, près du précédent, ou à Montreuil, à 17 kms au nord d’Argentan. En est abbesse sainte Opportune, fille du Comte d’Exmes, sœur de l’évêque de Séez, saint Godegrand, et nièce de sainte Lanthilde. Sainte Opportune (+ vers 770) se fait remarquer par sa grande charité fraternelle et sa dévotion mariale.
A la fin du IXe siècle, les deux monastères sont détruits lors des invasions normandes. Les reliques de sainte Opportune sont mises à l’abri en région parisienne, signe qu’elle est déjà l’objet d’une grande vénération.
Statue de sainte Opportune
Tapisserie de Bayeux : bataille de Hastings (1066)
1060 : Une difficile restauration
Le souvenir du double domaine monastique demeure cependant; il est entré dans le patrimoine des ducs de Normandie. Tandis que surgissent les deux grandes abbayes de Caen, Roger II de Montgommery, parent de Guillaume le Conquérant et ‘ami des moines’, relève Almenèches vers 1060, et dote l’abbaye d’assez riches possessions en Normandie et en Angleterre. Sa fille Emma en devient abbesse en 1074.
Une partie des reliques de sainte Opportune revient alors à Almenèches, qui se réclame de son patronage.
Mêlé, malgré lui, aux luttes farouches opposant les Montgommery à leurs rivaux, le monastère est incendié par deux fois, en 1103 et en 1118, et s’en trouve très appauvri.
Du XIIe au XVe siècle, la décadence
Le Registre des Visites de l’archevêque de Rouen de 1250 à 1260 fait état de 33 religieuses qui chantent l’office. La règle bénédictine est indiquée comme norme fondamentale, mais la vie que mènent les religieuses est loin d’y être parfaitement conforme. Une tentative de réforme, avec l’installation en 1250 d’une moniale d’Angers comme abbesse, échoue. La décadence ira en s’accentuant au cours du XIVe siècle, à la suite d’un nouvel incendie, en 1318, et des circonstances difficiles de l’époque : Guerre de Cent ans, peste et troubles en Normandie.
En 1455, l’évêque de Séez constate que le chapitre est transformé en étable et que les religieuses se logent comme elles peuvent dans les ruines et alentour.
Ruines de l’abbaye saint Evroul (XI-XVIIIe)
Eglise d’Almenèches
Aux XVe et XVIe : un renouveau sous le signe de Fontevrault
Le recours à l’aide de l’abbaye de Fontevrault va rendre possible le relèvement nécessaire de la vie monastique. Un premier essor est donné par une jeune abbesse venue de Fontevrault en 1472, Marie d’Alençon. A nouveau, en 1517, seize moniales fontevristes arrivent à Almenèches pour une deuxième réforme.
Le culte de sainte Opportune commence alors à se développer au monastère, suite à un miracle. Parallèlement à l’oeuvre de reconstruction spirituelle, Marie de la Jaille, abbesse de1519 à 1533, remet en état les bâtiments conventuels.
Cependant, afin de sauvegarder sa physionomie propre et échapper à la tendance centralisatrice de Fontevrault, le monastère s’en sépare et se replace sous l’obédience directe de l’évêque de Séez en 1534. Louise de Silly, abbesse de 1533 à 1562, reconstruit l’église abbatiale (c’est l’actuelle église paroissiale d’Almenèches).
Avec la Réforme, l’existence du monastère redevient précaire : en 1563, des huguenots mettent à sac l’abbaye et, à la faveur des troubles, la ferveur s’attiédit.
Les grandes abbesses de l’âge classique
Une nouvelle vitalité est donnée par une toute jeune abbesse, Louise Rouxel de Médavy (1593 -1652) , qui se révélera comme une très grande abbesse : dès 1620, elle restaure la clôture et adopte les Constitutions de Poitiers, proches de l’observance fontevriste. La vie au monastère redevient profondément religieuse mais d’une austérité relative.
Pour former les jeunes religieuses à une observance plus rigoureuse, elle fonde, en 1623, un prieuré à Argentan, qui permet le renouvellement d’Almenèches avec des éléments jeunes et fervents.
Elle fonde également le prieuré d’Exmes en 1629, et participe à l’établissement de plusieurs monastères, dont celui de Verneuil (1627) .
L’impulsion donnée à la communauté se maintient sous les deux abbatiats suivants, mais en 1705, en raison de difficultés économiques, on est obligé de fermer le prieuré d’Argentan.
En 1736, l’abbesse Hélène-Marthe de Chambray se voit sommée par Louis XV de fermer Almenèches et de transférer le monastère dans l’ancien prieuré Notre-Dame de la Place à Argentan, pour en faciliter le recrutement.
A la veille de la Révolution, la communauté compte une trentaine de moniales : toutes refusent de prêter serment à la constitution civile du clergé. Mais en 1792, elles doivent se disperser. Deux d’entre elles sont emprisonnées.
Louise de Médavy
L’ancienne église Notre-Dame de la Place
Le monastère du quartier saint Jacques
La deuxième restauration, en 1822
En 1822, Charlotte Bernart de Courmesnil réussit à regrouper les survivantes des deux monastères d’Argentan et d’Exmes, à Vimoutiers d’abord, puis à Argentan en 1830. Notre-Dame de la Place étant irrécupérable, la communauté renaissante s’installe dans de modestes bâtiments du quartier St Jacques. Ceux-ci vont s’agrandir peu à peu au cours du XIXe siècle, avec l’ouverture d’un pensionnat, complété, en 1854 et en 1869, par un orphelinat et une école gratuite, en attendant l’ouverture, en 1874, d’une école dentellière, destinée à reprendre la tradition oubliée du “ Point d’Argentan ”.
La multiplicité des tâches éducatives, voulues par le contexte politique, éloigne un peu les religieuses de l’idéal monastique.
Les lois de 1901 et le retour à une vie contemplative
Avec les lois anti-congrégationistes du début du XXe siècle, l’existence du monastère est menacée. En 1904, un liquidateur procède à l’inventaire de ses biens : grâce au prestige de l’Ecole dentellière, un sursis est obtenu. Cependant le pensionnat est fermé en 1907. Le 30 juin 1914 paraît le décret de fermeture du monastère, mais la guerre éclate et l’exécution en est officiellement suspendue : une partie du monastère est transformée en ambulance et les religieuses restent sur place.
La suppression du pensionnat incite les moniales à renouer avec la grande tradition monastique. Les contacts se multiplient avec Ste Cécile de Solesmes, dont les Constitutions sont adoptées. En 1912, l’office monastique remplace l’office romain et le titre abbatial est restauré par le Saint Siège. La nouvelle église abbatiale est dédicacée en 1933.
Crosse et blason abbatiaux
Mère saint Léon
Le nouveau monastère
Lors de la 2e guerre mondiale, le monastère subit les bombardements du 6 juin 1944. Trois moniales y succombent, les autres trouvent asile dans “ l’Ancienne Miséricorde ” de Sées pendant 14 ans. Il revient à Mère saint Léon Chaplain, abbesse de 1940 à 1964, d’assurer l’unité de la communauté dans ces circonstances difficiles et de pourvoir à la reconstruction du monastère.
Le 26 juillet 1958, c’est le retour à Argentan, dans des bâtiments tout neufs, situés au bord de l’Orne. La dédicace de l’église a lieu le 17 septembre 1962. Mère Marie-Joseph Bocquet, abbesse de 1964 à 2002, donne une nouvelle vitalité spirituelle à l’abbaye, avec une attention particulière à l’exécution du chant grégorien. Quelques moniales perpétuent la tradition de la dentelle et un atelier d’images, photo et sérigraphie, est créé.
Mère Marie-Paul Fruchard lui succède de 2003 à 2018, continuant à aider les moniales à cultiver l’héritage des siècles passés dans leur vie toute donnée au service du Dieu vivant. Mère Marie-Jeanne Bouju reçoit la bénédiction abbatiale le 1er mai 2018 en la fête de St Joseph artisan. La communauté compte alors 32 moniales, qui souhaitent poursuivre leur vie de louange « in vinculo caritatis », « dans les liens de la charité », selon la devise de la nouvelle abbesse.