Notre communauté, dont toutes les Religieuses avaient refusé de prêter serment à la Constitution, a connu en 1792, avec sa dispersion, la perte de son titre très ancien de ‘Abbaye Notre-Dame d’Almenèches’. A partir de 7 survivantes, provenant également du prieuré d’Exmes, une filiale d’Argentan, la communauté se reconstitua à Vimoutiers, en 1822, puis à Argentan en 1830, s’adonnant, comme à ses deux principales tâches, à la prière liturgique et aux œuvres éducatives. La communauté prospéra en nombre mais sans retrouver son titre d’abbaye, avec, à sa tête, une Supérieure, qui n’était plus une abbesse et qui était soumise à une élection tous les 3 ans, alors que la règle de st Benoît prévoit une abbesse élue à vie.
Cet état de fait se prolongea jusqu’en 1907, quand le pensionnat, en vertu des lois sectaires, dut fermer ses portes. Sous l’impulsion de l’abbé Leboulanger, son aumônier, la communauté s’orienta alors vers une vie plus contemplative, sans œuvres d’enseignement. Le 11 avril 1911, elle adopta les Constitutions de l’abbaye sainte Cécile de Solesmes, ce qui l’amena à modifier certains points d’observance et surtout son office liturgique : le 10 février 1912, elle abandonnait le bréviaire romain pour le bréviaire monastique, plus développé.
Dans le cadre de ce renouveau et malgré l’incertitude des temps, qui étaient à la persécution et à la menace d’expulsion, l’abbé Leboulanger, inspiré par une moniale de la Congrégation de Solesmes originaire d’Argentan, eut l’idée de solliciter du Saint-Siège le retour de la Communauté à son ancien titre d’Abbaye.
En secret de la Supérieure d’alors, il soumit le projet à l’évêque de Séez, Mgr Bardel, qui y fut favorable, chargeant l’aumônier de rédiger la supplique qu’il se proposait de présenter à Rome au cours de sa prochaine visite ad limina. Il s’en acquitta avec l’aide le la sous-prieure, seule mise au courant. La Sacrée Congrégation pour les Religieux accueillit favorablement la demande le 13 mars 1912.
Très Saint Père, Claude, évêque de Séez, humblement prosterné aux pieds de votre Sainteté, expose ce qui suit : Parmi les plus insignes monastères de France, brille, au moins par son antiquité, le couvent des Moniales de l’Ordre de St Benoît, primitivement situé à Almenesches et transféré, par ordre du roi Louis XV, à la ville voisine, vulgairement appelée Argentan, au diocèse de Séez, avec tous ses biens, titres et privilèges, en 1736.
C’est à juste titre, en vérité, qu’on parle de la haute antiquité de ce monastère, puisque, fondé par St Evroul aux environs de l’an 557, sous le règne de Childebert Ier , roi des Francs, il a existé sans interruption jusqu’à nos jours ; de plus on peut avec raison le proclamer illustre puisque, au début du VIIIe siècle, il eut pour Abbesse la glorieuse Ste Opportune, de laquelle Dom Guéranger n’a pas hésité à proclamer « qu’il la tenait pour la plus suave et la plus belle fleur de sainteté de la Normandie ».
A la fin du XVIIIe siècle, en l’année 1792, si troublée en France, sous le gouvernement de la vénérable Abbesse appelée, en langue vulgaire, Madame de Castellas, les Moniales, expulsées par la force de leur Monastère, se dispersèrent et se cachèrent en divers lieux.
La paix étant enfin rendue à la nation française, sept religieuses, seules survivantes, se réunirent dès qu’elles le purent. Mais comme la vénérable Abbesse, Madame de Castellas, était décédée pendant la tourmente, vers 1797, accablée par l’âge, le chagrin et les épreuves, les religieuses se soumirent à l’autorité et au gouvernement d’une ancienne Prieure encore en vie, qui conserva son titre et ne fut pas élevée à la dignité abbatiale. Après la mort de celle-ci, comme elles étaient encore en petit nombre, elles choisirent une autre Prieure, et, sous sa direction, s’adonnèrent avec un zèle admirable à former les jeunes filles à la piété, à la morale et à la science.
Les choses demeurèrent ainsi jusqu’à ces dernières années. Mais, en 1907, la faculté d’élever les jeunes filles leur ayant été retirée, les religieuses se vouèrent entièrement à la célébration solennelle, chaque jour, de l’Office divin et à l’observation intégrale de la Règle de Saint Benoît.
Mais à leur tête il n’y a toujours pas d’Abbesse ; et rien ne pourrait être, pour les dites Moniales, filles de Sainte Opportune, un plus grand encouragement à la ferveur, un meilleur appui et une plus grande joie, que si Sa Sainteté Notre Seigneur le Pape Pie X daignait, dans sa bonté, restituer à leur Monastère son antique titre abbatial.
Les moniales vivant dans le Monastère dont il s’agit et qui est désigné sous le titre de Notre-Dame d’Argentan (autrefois d’Almenesches) , sont au nombre de 54 et se divisent ainsi :
Moniales proprement dites récitant l’Office divin : 32.
Sœurs Converses spécialement occupées aux travaux domestiques : 16.
Sœurs Tourières ayant le soin de la porte et communiquant avec l’extérieur : 6.
Cette requête l’Évêque la présente en y joignant tous ses vœux. Que Dieu daigne l’exaucer !