La restitution du titre abbatial impliquait que la Supérieure devint abbesse. Quand celle-ci apprit ce qui avait été « comploté » à son insu, elle se mit dans une colère, bien compréhensible : «Jamais, vous entendez bien, jamais je ne porterai un tel titre ! Que celle qui vous a aidé le prenne si elle le veut, moi jamais ! » Il fallut plusieurs jours et les encouragements de l’Abbesse de Sainte-Cécile, pour qu’elle finisse par accepter sa nouvelle dignité. La date du 12 septembre, fête du saint nom de Marie, fut retenue pour sa bénédiction abbatiale.
Entre temps, il lui fallut choisir une devise : ce fut « soli Deo », « pour Dieu seul ». « C’est pour Dieu seul que j’ai quitté mes parents, c’est pour Lui seul encore que j’ai accepté cette dignité » commenta-t-elle. Pour manifester leur sympathie les abbayes de Solesmes lui offrirent son anneau et sa crosse.
Il fallut aussi nommer l’Abbaye rétablie : on retint son ancien titre d’ « Abbaye d’Almenèches », Argentan n’étant son lieu d’implantation que depuis le 17e siècle ; et lui trouver des armoiries : on opta pour les anciennes armoiries des ducs d’Alençon.
Étant donné le contexte politique difficile, il n’y eut aucune publicité sur cet honneur retrouvé et la bénédiction abbatiale eut lieu en catimini, à 7h30 du matin. Mgr Bardel présidait la cérémonie, entouré de son vicaire général, de son secrétaire général, et du directeur du séminaire qui était maître de cérémonies, ainsi que de Dom Gatard, prieur de l’abbaye de Farnborough et parent d’une moniale, seul représentant monastique présent : c’est lui qui donna l’homélie.
A l’issue de la messe, la nouvelle abbesse et la communauté reçurent leur évêque dans leur grande salle de travail, qui avait été décorée de guirlandes et de fleurs, avec les écussons. Monseigneur y lut le texte de la bénédiction apostolique que donna Pie X pour la circonstance.
Le lendemain fut encore festif, même si les festivités demeurèrent très modestes : la sous-prieure fit un toast en l’honneur de la nouvelle abbesse, qui distribua en souvenir à chacune un petit opuscule avec de pieuses pensées de saints bénédictins pour chaque jour de l’année.
Ainsi fut franchie sans bruit, ignorée des gens du monde, une nouvelle étape de notre histoire. La Providence de Dieu continua à se manifester, permettant notamment que la communauté ne se disperse pas et continue sur place son œuvre de louange que nous perpétuons encore aujourd’hui.